QUE SONT-ILS DEVENUS ?
CLAUDE SEGUY, EQUIPIER DE : ROCHE, FIGNON ET J.F. BERNARD !
Né le 14 août 1961 à St Flour (15). Professionnel : 1987-88 (FAGOR), 1989 (Super U), 1990 (Toshiba)
Veloracingnews : Comment es-tu venu au cyclisme ?
J'habitais un petit village de la Haute-Loire, Ferrussac (80 habitants à 17 km de Langeac), où la pratique de tout sport collectif était impossible. Un cousin à moi, de Brioude, venait souvent me voir avec son vélo de course et son superbe maillot GAN-Mercier de Raymond Poulidor. Ne pouvant pratiquer le foot qui me plaisait bien aussi, je me suis orienté vers le cyclisme. Pour arriver à mon village, il y avait une côte de 9 km que je trouvais très difficile mais j'avais accroché au vélo et je voulais voir de quoi j'étais capable.
Veloracingnews : Comment se sont déroulées tes premières compétitions ?
J'avais fait la connaissance d'Hubert Pélissier, Président du club de l'AC Langeac qui organisait un test chronométré sur 30 km entre Langeac et le Mont Mouchet (haut lieu de la Résistance). Et j'ai remporté cette épreuve dans la catégorie des non-licenciés. Donc naturellement j'ai pris ma première licence dans ce club où j'ai fait l'essentiel de ma carrière amateur. Pendant mon service militaire, je me suis retrouvé dans la région parisienne à l'ASCAIR (Armée de l'air). Compte tenu du fait de mes bons résultats amateurs (50 victoires), il fallait que je m'expatrie pour trouver un club plus structuré.
J'étais à deux doigts de signer à Auxerre mais en disputant la « Flèche d'Or Européenne », j'ai été remarqué par l'équipe de l'ACBB (Boulogne-Billancourt), antichambre des équipes pros. Cette épreuve, je devais la disputer avec Denis Jusseau mais je me suis associé au dernier moment avec Bruno Huger (Vainqueur de la route de France 1984) car Denis était victime d'une crise d'appendicite. Malgré notre absence de préparation commune nous terminons à la 3e place. Là je suis remarqué par les dirigeants de l'ACBB.
Veloracingnews : Revenons à tes premières courses
Une des premières épreuves disputée en peloton, je me souviens que j'étais échappé avec Pascal Bedut, un des meilleurs régionaux, qui me lâche dans le dernier tour... Le jour des Championnats du Monde 1979 remportée par Jan Raas, je courais à Saint-Etienne-sur-Usson près d'Issoire. J'ai fait toute la course en tête avant d'exploser dans le final. Pour moi être professionnel et disputer de telles épreuves, c'était un Everest à gravir... Ma première victoire, je la remporte à Parent (63) ; je ne connaissais rien du vélo car je m'entraînais seul. Je ne pouvais pas me préparer comme je le voulais, j'étais pensionnaire et j'avais 40h de cours par semaine. J'ai vraiment fait du vélo sérieusement lorsque je suis parti à l'armée à l'ASCAIR (décembre 1983). En fait j'ai très peu couru chez les amateurs.
Veloracingnews : A Langeac tu as connu Pierre Chany ?
Bien sûr, la seconde saison, Pierre Chany (journaliste à l'Equipe qui a disputé 49 Tour de France), était présent sur une course interclub. Et là il me remarque car face aux 1ère catégorie, je concède un écart réduit malgré mon inexpérience. C'était un homme passionnant, très proche des coureurs et très abordable. Je peux dire qu'il m'a aidé à bâtir ma carrière par ses conseils. Il connaissait le vélo jusqu'au bout des ongles et me donnait des programmes d'entraînement même lorsque j'ai été pro. Rarement j'ai vu quelqu'un d'aussi pointu dans le cyclisme.
Veloracingnews : Quels sont tes premiers résultats significatifs ?
Il faut bien comprendre que lorsque j'ai disputé mes premières épreuves parisiennes, je ne savais rien du vélo. Incapable de bordurer, de me placer dans un peloton et là j'ai découvert un cyclisme que je ne connaissais pas : les courses à étapes, le niveau international... Par la suite de retour à Langeac, je prenais ma voiture et je montais de la Haute-Loire, avec un ami Jean-Michel Arnaud (Sayat), disputer ce type d'épreuve, passage incontournable pour passer pro. Amateur, J'ai remporté le Circuit Boussaquin en 1986, 2e du Circuit Béarn-Aragon, 2e du chrono des Herbiers 1985, 2e des Monts du Livradois 1984, Paris-Barentin 1986. Je finis 5e amateur français en 1986.
Veloracingnews : Parle-nous de ta 1ère année pro.
Je passe pro en 1987 chez Fagor (Bernaudeau, Caritoux, Yates) dirigée par Pierre Bazzo. Une des premières courses que je dispute le CLM de l'Etoile de Bessèges, je loupe le départ ! Meilleur grimpeur du « Tour du Haut Var ». Dans Tirreno-Adriatico je fais le prologue à fond. Une course comme ça chez les amateurs, moi qui était bon rouleur, je me classais dans le top cinq. Là je fais 40e ! J'ai vu l'écart qui séparait les deux catégories. Je remporte une des plus vieilles classique espagnoles « le Prix de Villafranca » (créé en 1922) qui correspondait par son profil à la « Classique des Alpes ». Je dispute la Vuelta dès ma 1ère année pro (57e).
Dès sa première année pro Claude Séguy remporte le Prix de Villafranca
Veloracingnews : En 1988 tu es à nouveau chez Fagor
Avec un énorme changement, l'équipe engage Stephen Roche qui venait de remporter le Tour, le Giro et le Championnat du Monde la même année. Le problème c'est qu'en 88, Stephen fait une année blanche suite à une blessure. A l'inter-saison, j'ai voulu tellement bien faire que j'ai suivi un régime alimentaire trouvé dans un livre pour perdre de la masse graisseuse. En fait je me suis fragilisé et j'ai eu un problème à un genou. Chez Fagor, l'organisation n'était pas le point fort. On nous faisait courir sans tenir compte de nos plages de repos (j'avais pratiquement 50 jours de course comme néo-pro sur 60 jours !). J'ai couru sur ma blessure, sur de la fatigue. J'ai bien marché au Tour du Portugal (trois fois second d'étape) et à la Route du Sud 14e.
Au mois de juin je reçois un coup de téléphone de Cyril Guimard qui me dit qu'il est intéressé pour intégrer son équipe. J'étais un peu requinqué mais je traînais encore les séquelles de ma blessure. Un médecin avait dit à Pierre Chany que j'aurais dû couper pendant trois mois pour me soigner correctement mais quand tu es pro ce n'est pas possible. La pression de l'équipe, des sponsors font que tu dois être opérationnel toute l'année...
Veloracingnews : Tu signes chez Super U
C'était la grosse formation de l'époque avec : Laurent Fignon, Bjarne Riis, Pascal Simon, Thierry Marie... Je termine 15e de Paris-Nice et j'étais prévu pour disputer le Tour d'Italie et le Tour de France. Au Tour de Romandie je chute, impossible de me relever. J'ai dû renoncer au Giro que Fignon gagne. Ensuite j'ai eu un des plus grands regrets de ma carrière, c'est de n'avoir pas disputé le Tour. Après ma chute je me préparais pour faire la « Grande Boucle ». Je fais un bon Championnat de France à Montluçon où j'accomplis un gros travail pour Fignon. Guimard, me trouvait bien, il me dit de passer devant le médecin de l'équipe. J'ai été trop honnête, je n'ai pas su me vendre. Le médecin me demande si je suis prêt. Je lui avoue qu'après ma chute la forme est là mais je ne suis pas encore super. Du coup je suis évincé du groupe pour le Tour... Ma chance et ma malchance c'était de courir dans des grosses formations. Un équipe française moins huppée m'aurait permis de faire le Tour de France.
Ma fin de saison se termine avec une 9e place au Tour du Limousin, une 17e place au Tour de l'Avenir et une seconde place au CLM par équipe du « Grand Prix de la Libération » (équivalent du Championnat du Monde du CLM actuel). J'avais perdu la confiance, je ne savais plus gagner. Mon contrat n'est pas renouvelé.
Veloracingnews : Comment se passe ta dernière année pro ?
Je suis recruté par Toshiba (Jean-François Bernard, les frères Madiot, Laurent Jalabert). J'ai senti que le ressort était cassé car j'aurais aimé faire ma carrière chez Guimard. Mon rôle était d'épauler les leaders. A la fin de la saison, je décide d'arrêter le vélo.
Veloracingnews : Quels sont les coureurs qui t'ont marqué durant ta carrière ?
Il y a eu Sean Kelly. Il fallait le voir dans les derniers kilomètres pour la gagne ! Il prenait tous les risques, remontait le peloton sur les trottoirs... En plus, numéro 1 mondial il était venu me voir durant une course, après ma chute du Tour de Romandie, pour prendre de mes nouvelles. Un grand Monsieur !
Charly Mottet qui était une petite cylindrée, moindre qu'un Fignon, préparait ses courses au millimètre et s'est construit un palmarès de champion. Dommage que ma carrière ait croisé la sienne chez Super U.
Laurent Fignon était un homme assez réservé, peu communicatif, mais un leader impressionnant. Lorsque l'équipe avait travaillé, à 25 km de l'arrivée il nous disait : « c'est bon les gars, le reste c'est pour moi ». Pour un équipier c'est rassurant et motivant.
Jean-François Bernard avait une classe phénoménale mais était plus fragile mentalement. Derrière un exploit sur un CLM, il pouvait connaître un jour sans. Je me souviens d'une anecdote sur la Vuelta. Lors de la seconde étape, un groupe part et on sort derrière pour revenir. On vient mourir à 10 mètres. Du coup l'échappée prend vingt minutes ! Bernard me dit : « Claude tu as manqué la chance de ta vie ! » Présent dans cette échappée je pouvais fleurter avec le maillot de leader car après le CLM par équipes, que nous avions terminé à la 7e place, c'était un bon classement assuré durant la première semaine, avec les retombées que cela implique. Une carrière tient parfois à rien, à dix mètres.
Veloracingnews : Comment se passe ta fin de carrière ?
A la fin de cette quatrième année, je décide d'arrêter. Mon but était de réussir dans le vélo pas de devenir un fonctionnaire du cyclisme. A mes yeux je n'ai pas fait la carrière que j'aurai dû faire. Je voulais, pour moi et aussi vis à vis de Pierre Chany avec qui nous étions devenu amis, prouver qu' un coureur propre peut réussir au plus haut niveau. ( Christian Montaignac, en pleine tourmente de l'affaire Festina 1998, parlera dans un article de Claude Séguy comme un coureur différent et même exemplaire).
Un médecin m'avait conseillé d'arrêter progressivement la compétition pour préserver ma santé ; donc je prends une licence amateur et en début de saison et pars faire une course à Bormes-les-Mimosas. Durant la course je m'arrête sous un arbre que je reconnaîtrais encore. Je me suis dis : « c'est le dernier dossard que tu accrocheras à ton maillot ». Je n'avais plus envie tout simplement, le ressort était cassé, je voulais passer à autre chose.
Veloracingnews : Et ta reconversion ?
Quand tu es coureur, tu es investi dans ce métier à 200% et tu vis dans une bulle. Tu ne sais pas ce qui se passe autour de toi : les catastrophes, l'actualité, les faits divers. On est assisté, protégé, tout est organisé pour notre bien être. On vit notre passion et on ne prend pas le temps de faire des démarches pour se reconvertir. Quand tu sors de la bulle tu ne sais plus qu'il faut aller vider la poubelle le soir, tu ne sais plus où tu es... Même les choses simples deviennent compliquées à accomplir. J'ai bien mis un an avant de m'en remettre.
Quand t'es sur le vélo tout compte : bien manger, dormir, se reposer, s'entraîner. Il ne faut avoir la tête qu'à ça. Déjà, je voyais les gars mariés le soir dans la chambre d'hôtel. Ils passaient leur soirée au téléphone avec leur femme : « je languis, le chien est malade, il faut rembourser la maison... » Moi je ne voulais pas de ça tant que j'étais sportif de haut niveau. Alors la reconversion très peu de coureurs la préparent.
Veloracingnews : Tu t'es orienté vers quel domaine ?
J'ai eu l'opportunité de créer une Société de vente d'objets publicitaires, textiles publicitaires cadeaux d'entreprises, (GOODICOM, ZA les Portes de Riom, 5 rue Ray Charles 63200 RIOM). Je voulais quitter le monde du vélo et ne plus passer mon temps sur la route à sillonner la France. Je vends aussi des équipements cyclistes , par ce bais j'aide, le TEAM PRO IMMO qui va monter en DN1 en 2014.
Veloracingnews : Que penses-tu du cyclisme d'aujourd'hui ?
J'ai un peu pris mes distances avec le cyclisme. Le système pro, où l'argent est prépondérant qui mène à tous les excès, m'a déçu. J'ai vécu de bons moments avec les copains. Une fois en rentrant d'une course on cherchait un hôtel, il était tard. Tout le monde se disperse dans les rues de la ville et l'un d'entre nous revient, content d'avoir trouver un hôtel bien éclairé avec de beaux tapis rouges. C'était l'Hôtel de Ville...
Je m'entretiens toujours. Avec des amis, on fait du footing entre midi et deux. J'ai participé à la Pierre Chany à Langeac, bien sûr, mais pour le plaisir.
Le cyclisme d'aujourd'hui est mieux encadré, il y a un suivi longitudinal des coureurs, les mentalités sont plus saines. Il y aura toujours des tricheurs mais avec un bon programme et des temps de récupération planifiés je crois que l'on peut évoluer au plus haut niveau.
Veloracingnews : Tu es Président de l'Amicale des Coureurs Auvergnats...
J'ai succédé à Jean-Claude Theillière à la Présidence. Le temps des équipes régionales est révolu. Ce groupe était à l'origine réservé aux anciens du Tour. Il a fallu élargir. Aujourd'hui l'Amicale est ouverte à tous les amoureux de cyclisme : « Amicale des Coureurs Auvergnats du Tour de France, Champions Régionaux, Supporters et dirigeants ». Notre repas annuel aura lieu le 24 novembre et c'est un vrai plaisir de se retrouver entre amis et champions qui partageons la même passion. Pour être présent à cette manifestation, il suffit de me contacter et s’inscrire rapidement. Chaque année nous décernons un trophée encourageant le ou les meilleurs Auvergnats en activité. Cette année c'est Rémi Cavagna (TEAM PRO IMMO), rouleur hors normes, qui est à l'honneur.
Notre entretien se termine, Claude Séguy a gardé sa ligne de jeune homme ; dans son bureau on retrouve les photos des temps forts qui ont jalonné sa carrière dont une qui lui tient à cœur celle où il pose avec Pierre Chany.
Claude Séguy en compagnie de Pierre Chany
Interview : Patrick Dorckel (As du Cyclisme sur facebook)